thomas-boglio
niveau 1
Année du bac2020
PaysBANGLADESH
Commentaire« Sois toi-même », voire même « ose être toi-même », bref « n'écoute que toi » : tels sont les mots d'ordre préférés de notre modernité, ressassés à l'envi par une suite infinie de slogans publicitaires pour qui être soi passe, à l'évidence, par l'achat de telle marque de chaussures ou la consommation de telle boisson gazeuse. Être soi-même nous est donc présenté comme un impératif au sens propre, c'est-à-dire une injonction morale, un devoir et pour tout dire le premier de tous nos devoirs : ne te soucie pas du qu'en-dira-t-on, ne te laisse pas déterminer par la pression sociale, les normes, les règles, les habitudes ; affirme ta propre personnalité à la face du monde, tu l'enrichiras d'autant et ne t'en porteras que mieux. L'hypocrisie est le premier de tous les vices, la sincérité la plus grande des vertus : sois toi-même et accepte l'autre tel qu'il est. Si tous se conformaient à cette double exigence, l'humanité serait enfin en paix et surtout satisfaite d'elle-même, ce qui est manifestement la clef du bonheur, si tant est que le remords, la honte et la mauvaise conscience ne se sont jamais signifiés comme les meilleurs moyens pour l'homme d'être heureux.
Sois toi-même, le conseil serait fort bon, s'il n'était à y bien regarder quelque peu paradoxal : car enfin, quel sens y aurait-il à devoir être soi-même, précisément ? Ce que je suis, je le suis, en sorte que je n'ai pas à l'être : on ne peut me commander d'être que ce qu'à présent je ne suis pas, comme on ne saurait sans absurdité ordonner de se taire à celui qui fait déjà silence. Sans doute alors faut-il en conclure qu'être soi-même ne peut avoir de valeur impérative que si celui que je suis maintenant n'est justement pas moi-même, en sorte que la question se divise : ce « moi » qu'à présent je ne suis pas, est-ce simplement parce que je n'ose pas l'affirmer dans toute sa particularité, ou parce que je ne le suis pas encore ? La différence n'est pas maigre : dans le premier cas, il s'agirait de dire que le premier de mes devoirs moraux, c'est d'assumer ma personnalité et mon caractère tels qu'ils sont déjà, sans plus chercher à les dissimuler sous un visage d'emprunt ; dans le second, d'affirmer que je ne suis que trop ce que je suis, et pas assez celui que je devrais être. Dans un cas donc, je désespère de ne pas être encore assez moi-même, dans l'autre de l'être déjà trop ; autrement dit, dans un cas je désespère de ne pas pouvoir affirmer assez ma particularité et, dans l'autre, cette particularité m'écrase et n'est que trop présente. Alors, de l'affirmation du soi que je suis déjà à son dépassement, laquelle de ces deux attitudes, qui s'excluent l'une l'autre, pourra à bon droit être élevée à la hauteur d'un devoir moral ?
I. De l'affirmation de ma particularité à la découverte de son insuffisance
1. La conscience de soi comme identification du sujet et de l'objet
Être conscient de soi, c'est être capable de dire « je suis moi », « je me pense », être capable en quelque sorte de se dédoubler entre celui qui pense et celui qui est pensé, pour ensuite affirmer l'identité du « je » et du « me », du sujet et de l'objet : on retrouve ici la thèse de Hegel selon laquelle être conscient de soi, c'est poser un objet extérieur à soi et l'identifier comme étant soi-même. Lorsque cette identité est parfaitement réalisée, lorsque je me reconnais sans reste dans ce que j'ai posé dans l'extériorité, j'accède à la conscience libre de ma propre singularité. Or cette unité n'est pas d'emblée réalisée : ces actes que j'ai posés, cette vie qui est pourtant bien la mienne, cette personnalité que j'endosse, tout cela précisément, je ne m'y reconnais pas et je n'y retrouve pas celui que j'aurais voulu être. Car enfin ce moi qu'à présent je suis, ce n'est pas moi qui l'ai consciemment choisi ni même constitué : il est bien plutôt le fruit de déterminations extérieures que j'ai laissé décider pour moi. Comme le remarquait Valéry, « le milieu social exerce une sorte de pression sur nos réactions immédiates, nous contraint à demeurer et à être un certain personnage identique à lui-même, dont on puisse prévoir les actions » : celui qu'à présent je suis n'est justement pas moi-même, mais un rôle que je joue et auquel j'ai fini par m'identifier, en sorte qu'ici le personnage s'est substitué à la personne.
2. La mauvaise foi comme impossibilité d'être soi-même
On peut songer alors à ce que disait Sartre de la « mauvaise foi ». Il ne faut pas entendre cette expression dans sa signification courante, où est « de mauvaise foi » celui qui s'obstine, contre toute évidence, à maintenir un mensonge qui ne trompe personne… et surtout pas lui-même. Est de mauvaise foi au sens de Sartre ce garçon de café qui s'identifie au personnage qu'il joue : dans sa démarche, dans ses mimiques et dans ses intonations, dans le moindre de ses gestes, il fait la « danse du garçon de café », c'est-à-dire qu'il se comporte exemplairement de la façon dont il suppose qu'un garçon de café doit se comporter. Il « est » garçon de café : la perfection avec laquelle, à même son corps, il interprète ce rôle est destinée à lui faire oublier qu'il s'agit d'un rôle, que son statut est la conséquence d'un choix et non une détermination d'essence. Je « suis » garçon de café, par conséquent je n'ai pas choisi de l'être, et partant je ne porte pas la responsabilité de ce qu'est devenue ma propre existence. La mauvaise foi est donc cette conduite par laquelle j'essaye de me persuader que je m'identifie réellement à ce que j'ai posé dans l'extériorité, bref que celui que je suis n'est autre que moi-même. Est de mauvaise foi, autrement dit, celui qui tente de se convaincre qu'il est déjà lui-même, en sorte qu'il n'a plus qu'à affirmer ce qu'il est… comme le garçon de café surjoue son rôle, pour se persuader (sans cependant jamais y parvenir tout à fait) qu'il est ce qu'il joue à être.
3. L'écart de soi à soi
« Je suis ce que je suis » : celui qui ainsi s'essentialise et se réifie, celui qui en d'autres termes se traite comme une chose à qui est refusée toute possibilité d'être autre chose que ce qu'elle est, celui-là est de mauvaise foi, et d'abord parce qu'il sait en son fond qu'il n'en est rien. Ce que je suis, j'ai choisi de l'être (et d'abord en laissant les autres choisir pour moi) ; je peux donc toujours décider de ne l'être plus. Ce qui définit l'existence humaine en effet, c'est justement cette possibilité toujours ouverte d'être autre chose que ce qu'elle est déjà, de se choisir et de se déterminer pour ainsi dire à nouveaux frais. On voit poindre alors le nœud de la difficulté : ce personnage qu'à présent je suis, j'ai accepté de l'être sans le plus souvent l'avoir consciemment et résolument choisi, dans un genre de décision indécidée (j'ai décidé de laisser le monde décider pour moi) ; je ne puis jamais, pour cette raison même, m'y retrouver entièrement. Je suis toujours plus et autre que moi-même ou, plus exactement, ce moi que je suis à présent n'épuise pas ce que je pourrais être : je ne me reconnais pas pleinement dans l'image de moi que me renvoie le monde. Celui que je suis en vérité, précisément je ne le suis pas : c'est parce que je suis toujours inférieur à moi-même que je peux connaître ce que Kierkegaard nommait le désespoir de n'être que trop soi, et le désespoir de ne pas l'être encore assez. Celui que je ne suis que trop, c'est ce que je suis déjà ; ce que je ne suis pas encore assez, c'est ce que je devrais être : l'affirmation rageuse de ma particularité (y compris dans tout ce qu'elle a pourtant de dérisoire et de piteux) ne sert qu'à masquer, avec les moyens du bord, cet abîme qui s'est peu à peu ouvert entre moi et moi-même. Si donc je me fais un devoir d'afficher ce que je crois être ma personnalité, c'est parce qu'au fond je ne m'y reconnais pas : être soi-même, loin d'être un devoir, m'apparaît plutôt comme une fatalité, où ce « soi » que je suis n'est justement pas moi-même.
II. Devenir soi-même : le dépassement de la particularité par l'universalité du devoir
1. L'appel de la conscience comme appropriation
On comprend alors pourquoi l'exigence d'être soi peut retentir en nous comme un impératif. « Deviens ce que tu es », voilà ce à quoi nous invitait déjà saint Augustin : ce que la morale commande, c'est peut-être alors effectivement d'abord de choisir moi-même mon existence, au lieu de subir les déterminations qui s'imposent à elle depuis l'extériorité. D'abord et le plus souvent en effet, l'homme a de lui-même une entente que Heidegger qualifie d'« impropre » : il s'entend « à partir de son monde », se définit lui-même par son métier, ses occupations, ce qu'il a à faire ; il se comprend à partir de ce fonds commun d'idées et de jugements qui caractérise une époque donnée. Telle est la figure de la « dictature du on », où chacun se défait du poids de sa propre existence en pensant ce qu'on pense, en faisant ce qu'on fait, bref, en se coulant dans la masse anonyme et réconfortante de ce « on », à la fois tous et personne : faisant ce qu'« on » fait, chacun se décharge de sa propre responsabilité insubstituable, en sorte que l'appel de la conscience prend toujours la forme d'une réappropriation de soi par soi. Dans l'existence quotidienne, la réalité de ce que je suis fait de moi le simple exemplaire d'une possibilité qui n'a rien de propre, parce qu'elle peut aussi bien être réalisée par autrui : tout ce que je fais, dis et pense peut être fait, dit et pensé par d'autres, en sorte que je ne suis pas un être singulier comparable à nul autre, mais un simple être particulier. Ainsi, la détermination première de mon existence, c'est toujours d'être seulement l'illustration d'une possibilité que d'autres peuvent tout aussi bien incarner. Le devoir d'être soi m'invite au contraire à dépasser cette particularité toujours donnée en direction de la singularité d'une existence à chaque fois mienne : ce que j'ai à être, nul autre ne peut l'être à ma place ; ce que j'ai à être, je suis le seul à pouvoir l'être, en sorte qu'il ne revient qu'à moi de faire être ce possible.
2. Particularité des inclinations sensibles et universalité du devoir
Comment alors passer de cette particularité que je suis toujours déjà à la singularité que je ne suis pas encore ? Ce qui permet un tel passage, c'est nul doute le devoir moral lui-même : selon Kant, c'est en faisant ce que la loi morale prescrit que je me libère de la particularité qui me déterminait par avance. Ce qui en effet particularise les individus, ce sont leurs inclinations sensibles (tel aime les épinards, tel autre les petits pois) ; mais précisément, ces inclinations sensibles sont hors du pouvoir de notre volonté : ce n'est pas moi qui choisis ce que je désire, ce que j'aime et ce que je déteste. En respectant le commandement moral, qui m'ordonne de donner à la maxime régissant mon action l'universalité d'une loi de la nature, je refuse alors de voir ma conduite prescrite d'avance par ces inclinations dont je ne décide pas. En d'autres termes, la loi morale m'ordonne de ne vouloir que ce qui pourrait être voulu par tous sans aucune exception. Mais, en haussant ainsi ma volonté à la hauteur de l'universel, je me libère de la tyrannie de la sensibilité et deviens un être singulier, car si le devoir s'impose à tous d'égale façon, il ne revient qu'à moi de faire le mien. J'ai à chaque fois à être moi-même : le premier de tous mes devoirs, c'est de respecter l'humanité en moi, c'est-à-dire de me montrer digne de celui que je peux être. En ce sens, la tentation est toujours celle de l'indignité : celui qui renonce à être ce qu'il devrait être (un individu moral et libre), celui qui se pense inférieur à la tâche et finit par accepter cet état de fait, celui-là ne respecte pas ce qui en lui pourtant est seul respectable – non cette particularité qu'il a reçue (avoir tels ou tels goûts, tels ou tels traits de caractère), mais une exigence de soi à soi, celle d'exister à la première personne.
3. Amour de soi et amour-propre
Comme le remarquait Rousseau alors, l'amour de soi est bien le seul vrai fondement de la moralité : ne pas renoncer, ne pas abdiquer devant l'âpreté de la tâche et s'estimer assez pour ne pas céder aux facilités du mensonge, de la tromperie ou de la dissimulation, voilà ce que me recommande ma propre conscience. En ce sens, être véritablement soi-même, c'est avoir honte de ce que je ne suis déjà que trop… et tel est le seul véritable courage. Le lâche a peur de tout, sauf de sa propre indignité. L'homme courageux, au contraire, ne craint rien tant que de ne pas être à la hauteur de lui-même. Ainsi donc être soi-même n'est un devoir que parce qu'il s'agit essentiellement de ne pas être satisfait de ce que je suis déjà et qui n'est pas moi : ce que je suis, je ne le suis pas encore, et d'abord parce que j'ai à l'être. Selon Rousseau, c'est seulement lorsque l'amour de soi se corrompt en amour-propre que je me compare à autrui : c'est sur fond d'une telle comparaison que je cherche à poser ma différence et que je finis par croire qu'il me faut à tout prix affirmer ma particularité. L'amour de soi, bien au contraire, m'invite à ne me comparer à rien d'autre qu'à moi-même, et à me montrer digne de ce que j'y aperçois.
Conclusion
Dans Être et temps, Heidegger, en faisant fond sur Aristote, parlait de la « voix de l'ami » que chaque homme porte par-devers lui, la voix de l'alter ego, cet autre moi-même : cet ami que je suis à chaque fois pour moi-même, ce n'est autre que le moi vertueux, celui que je devrais être. Ce n'est pas la voix de la conscience qui est étrangère à ce que je suis : elle est plus moi que moi-même, en ce sens que c'est moi qui, peu à peu, perdu dans les tâches quotidiennes, les rôles et les masques, suis devenu un étranger à mon propre regard. Être soi-même, c'est alors ne pas se contenter de ce que je suis, mais au contraire tâcher de le devenir.

Pourtant, si cette expression pose problème, il faut également reconnaître qu’on l’utilise souvent : « je n’étais plus moi-même …» (j’avais trop bu, par exemple ; ou j’étais furieux). Il faut donc bien que cette expression ait un sens ! Quel sens lui donnons-nous dans la vie courante ? Que voulons-nous dire par là ? Il semble que l’on désigne par là le manque de maîtrise de soi : on « s’oublie », on oublie les convenances, etc. On n’est pas maître de ce qu’on fait, on a l’impression qu’on n’est même pas à l’origine de ce qu’on fait. On peut se référer à Freud pour rendre compte de la possibilité de cette expression, ie, pour lui donner un fondement réel.

Mais nous avons vu que la notion de « soi » renvoie à la notion de conscience (de soi). Pas de soi-même, sans être qui peut se considérer comme un soi-même, qui s’apparaît à lui-même, qui a conscience de soi, etc. Peut-être alors que la notion renvoie au problème de la connaissance de soi. L’expression ne pas être soi-même signifierait alors : ne pas être ce qu’on croit être. Est-ce que ce qui nous apparaît de nous, ce à quoi nous avons accès, n’est qu’une apparence de ce que nous sommes vraiment, de notre personnalité ? Le soi-même n’est alors qu’une illusion, ce n’est pas notre être. Etc. On est toujours ici du côté de Freud. Ne pas être soi-même, chez Freud, c’est quand l’inconscient remonte à la surface : je ne me comprends plus, je fais des choses dont le sens m’échappe, dans lesquelles je ne me reconnais pas. Mais en fait, c’est ma véritable personnalité, non ? Je ne suis pas ce que je crois être, c’est tout ! J’ignore donc ce que je suis vraiment : c’est un problème de méconnaissance de soi plutôt que « ne pas être ». Ce que je suis vraiment, m’échappe, je m’échappe sans cesse à moi-même. Ce qu’on connaît de nous (notre soi au sens de ce qui apparaît) pas vraiment ce que nous sommes (notre soi au sens d’essence) : c’est seulement une apparence, une image de nous-mêmes. Je suis autre que le moi-même qui m’apparaît immédiatement.

Elle peut signifier encore : ne pas réussir à être authentiquement soi. Le soi est caché, ou bien, je n’ai pas le droit de l’exprimer, etc. C’est une problématique sociale : est-ce que la vie en société ne m’empêcherait pas d’être moi-même ? On pensera à la philo de Rousseau… Mais on pensera aussi à une critique sartrienne du cogito cartésien, que suppose la thèse de Rousseau.

Nous avons vu aussi que l’expression renvoie à la notion d’identité personnelle (en plus, que être = relation d’identité). L’expression voudrait alors dire que je ne suis jamais le même, que je suis toujours en mouvement, toujours en devenir. Je change sans cesse. Je suis donc « multiple ». On n’est pas toujours le même. Mais on dira encore que c’est impossible : on n’est pas sans cesse autre que soi, quand même : il faut bien que quelque chose « reste » identique à travers ces changements, sinon, ces changements ne seraient pas les miens ! Sens dans lequel on peut pourtant dire ça : cf. sens sartrien : être soi-même au sens d’identique à soi-même, ce serait être figé, ce serait être une chose. Un homme n’est pas une chose (une chose est ce qu’elle est : étendue dans l’espace, résistance, poids, etc.) ; un homme n’ »est pas », n’ »est rien », il existe, il est en perpétuel devenir, il est projet… Je ne suis pas moi-même signifie (sens positif, donc) que j’ai à être moi-même. C’est ce qui me distingue de la chose. Problème de la liberté et de ce qui fait de nous des hommes.

Plan
I-Le sens de l’expression selon le sens commun ; justification philosophique de cette opinion : la théorie freudienne de l’inconscient. Est-ce parfois, je ne manque pas de maîtrise de moi-même, je fais des choses dont je ne comprends pas le sens ? Cf. passions, inconscient

II-problème de la connaissance de soi : peut-on avoir accès à notre véritable être ? Ce que je suis vraiment, correspond-il à ce dont j’ai conscience d’être ?

III-Mais nous n’avons pas dit que l’expression aurait un sens ontologique : puis-je être autre que moi-même ? Puis-je ne pas être moi-même au sens strict de l’expression ?

Cf. Sartre et la liberté de l’homme, le fait même qu’il ait une conscience (pas besoin de recourir à l’inconscient) ; cf. existence dans le temps

Dans L’Etre et le néant (le chapitre sur la mauvaise foi ; la dualité humaine ; l’en soi et le pour soi), Sartre parvient à donner un sens à la phrase : « je ne suis pas ce que je suis », qui est une reformulation littérale, de l’expression « je ne suis pas moi-même ». Ainsi, il dit que je ne suis pas ce que je suis, au sens où « ce que je suis » désigne « ce que j’ai été ». Je peux par conséquent être aussi ce que je ne suis pas, si par « ce que je ne suis pas », j’entends « ce que je serai ». Par conséquent, je peux ne pas être moi-même, au sens je ne suis pas ce que j’ai été (réductible à…, prisonnier de mon passé) et où je suis ce que je serai (me ferai être, cf. projets, etc.). Ne pas être ce que nous sommes, signifie que nous sommes libres, que nous pouvons à tout moment choisir ce que nous voulons être. Tout autre sens de l’expression serait sans doute à mettre au compte de ce qu’il appelle les conduites de mauvaise foi, conduites d’excuse… (cf. fait que pour S., le principe d’identité ne vaut que des choses, qui sont « en soi »

Par rapport à Freud, on n’a plus besoin de recourir à une distinction entre deux parties de notre être ; l’expression « ne pas être soi-même » n’a plus un sens négatif (ne pas oublier que chez Freud, on était obligé de nier toute liberté : ne pas être soi-même c’est ne pas s’appartenir, c’est être « aliéné », ne pas se comprendre…).

Et puis, on peut presque prendre l’expression « ne pas être soi-même » en un sens littéral : je ne suis pas identique à moi-même, je ne suis pas le même tout au long de ma vie. Cf. rapport à la notion de temps.

Autre possibilité : analyser le non sens de l’expression en première partie… Mais cela peut déjà apparaître dans l’introduction. Sans doute pas assez de choses à dire pour faire une première partie solide.

Autre : analyser le sens commun et sa justification philosophique, en I , et montrer que ce n’est pas possible : la conscience n’est-elle pas la source de toute vérité ? (cogito cartésien). En II montrer que si, cette expression est fondée : cf. inconscient freudien.

Lectures, références
Descartes, le cogito

Freud, la théorie de l’inconscient

Hume, Traité de la nature humaine, l’identité personnelle

Sacks, le marin perdu (in L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau)

Sartre, L’être et le néant, la mauvaise foi ; L’existentialisme est un humanisme : différence homme/ chose : l’homme n’a pas d’essence prédéfinie, il se définit lui-même et n’est jamais définitivement achevé ; Huis-Clos

Documents

Sartre, L’existentialisme est un humanisme
« L’existence précède l’essence (…). Lorsqu’on considère un objet fabriqué, comme par exemple un livre ou un coupe-papier, cet objet a été fabriqué par un artisan qui s’est inspiré d’un concept ; il s’est référé au concept de coupe-papier, et également à une technique de production prélable qui fait partie du concept, et qui est au fond une recette. Ainsi, le coupe-papier est à la fois un objet qui se produit d’une certaine manière et qui, d’autre part, a une utilité définie, et on ne peut pas supposer un homme qui produirait un coupe-papier sans savoir à quoi l’objet va servir. Nous dirons donc que, pour le coupe-papier, l’essence –ie, l’ensemble des recettes et des qualités qui permettent de le produire et de le définir- précède l’existence ; et ainsi la présence, en face de moi, de tel coupe-papier ou de tel livre est déterminée. (…) L’existentialisme athée (…) déclare que si Dieu n’existe pas, il y a au moins un être chez qui l’existence précède l’essence, un être qui existe avant de pouvoir être défini par aucun concept et que cet être c’est l’homme (…). Cela signifie que l’homme existe d’abord, se rencontre, surgit dans le monde, et qu’il se définit après (…)s’il n’est pas définissable, c’est qu’il n’est d’abord rien. Il ne sera qu’ensuite, et il sera tel qu’il se sera fait. Ainsi, il n’y a pas de nature humaine (…). L’homme n’est rien d’autre que ce qu’il se fait. Tel est le premier principe de l’existentialisme. »

Nul ne peut échapper à la présence à soi qui est celle d'un être doué de conscience. Je dis « je » « moi » et je
fais spontanément la distinction entre ce qui est moi et ce qui n'est pas moi. Il semble qu'il soit impossible, au
sens de contraire aux lois générales de l'expérience, de ne pas être soi-même. Je ne peux pas être autre que le
sujet de mes pensées, de mes actes et de mes états ; sujet s'apercevant continuellement, excepté lorsque la
conscience étant abolie, « être soi-même » a cessé d'être signifiant.
Pourtant il nous arrive de dire « je n'étais plus moi », « j'étais hors de moi », « je ne me reconnais plus ». Ces
expressions révèlent que l'évidence de ma propre identité est comme suspendue. Je fais l'expérience d'une
altérité, d'une étrangeté au plus intime de moi-même. Je m'éprouve aux prises avec quelque chose en moi que
je ne reconnais pas comme moi. Comment comprendre que je puisse me découvrir voire me proclamer autre ?
N'est-ce pas l'aveu que je n'ai pas un rapport de transparence avec moi-même et que chacun peut être pour soi,
au gré des situations, un objet de surprise ? Surprise désagréable car je suis rarement tenté de dire « ce n'est pas
moi » lorsque ce qui me rend perplexe est gratifiant. Alors qu'en est-il de cette expérience ? Faut-il dire que
« je est un autre » selon la formule de Rimbaud ou avec Sartre identifier une stratégie de mauvaise foi ?
16/09/2019 » Peut-on ne pas être soi-même? - PhiloLog
https://www.philolog.fr/peut-on-ne-pas-etre-soi-meme/ 2/17
Parce qu'enfin cet être que je dis ne pas être moi, je sais bien que c'est moi. D'où le véritable enjeu de cette
question soumise à notre réflexion : qu'est-ce donc qu'être soi-même pour un pour-soi, c'est-à-dire pour un être
qui est toujours dans la division de soi avec soi ? Est-il jamais possible de réaliser l'unité de son être et de
revendiquer une identité déterminée ? La conscience n'est-elle pas ce qui nous condamne à nous conquérir
contre tout ce qu'elle néantise parce que ce qui nous élève à la dignité d'une personne est aussi ce qui nous
oblige ?
1) l'impossibilité de ne pas être soi
Il est impossible de ne pas être soi parce que la conscience est notre manière d'exister or la conscience est
présence à soi et au monde. J'ai conscience de moi et j'ai conscience du monde, telle est la donnée immédiate.
Sauf cas pathologique le savoir de moi et de ce qui n'est pas moi m'accompagne tout au long de ma vie.
Ainsi Descartes établit que je peux douter de tout sauf de ce moi qui pense et qui est certain de lui-même aussi
longtemps que par l'opération de la conscience ou de la pensée il se sent exister. « Je pense donc je suis ». Le
cogito est la certitude de soi comme un être dont l'unité et l'identité sont données dans une évidence intuitive.
Je sais que je suis et ce que je suis car j'ai la connaissance immédiate de mes états et de mes actes. Même
lorsque, ce que je remarque en moi « répugne à ma raison », je sais que c'est mien. J'ai un rapport de
transparence avec moi-même et aussi longtemps que ma conscience n'est pas abolie il m'est impossible de dire
que je ne suis pas ou que je suis un autre.
La conscience est le garant de mon unité : Moi c'est moi. Cette tautologie révèle qu'il n'y a pas de place au
sein du sujet pour un autre moi qui ne serait pas moi. De même la conscience est garante de mon identité. Sans
doute fais-je l'expérience du changement. Mais précisément pour se sentir changer il faut que quelque chose ne
change pas. Si à chaque instant j'étais un autre qu'à l'instant précédent je n'aurais pas conscience de ces
changements. La conscience du changement suppose la permanence du sujet qui rapporte à soi les différentes
transformations qu'il subit. Kant analyse ce fait avec l'exemple du petit Charles. Tant que l'enfant ne dit pas
« je », son expérience est éclatée en une diversité et une multiplicité de vécus. Il n'a aucune unité ni identité ; il
parle de lui à la troisième personne .Mais vient un moment, que Kant analyse comme le passage du « se
sentir » au « se penser » où le petit Charles devient capable de synthétiser dans l'unité et l'identité d'un « je » la
diversité et la multiplicité de ses vécus. Charles se pose dans l'existence comme le centre unificateur de ses
expériences passées, présentes et à venir. La conscience est ce fil conducteur qui fonde l'unité et l'identité d'un
être dans le temps.
Cette analyse est aussi celle de Locke. La personne a le sentiment d'être une et la même tant qu'elle a
conscience d'elle-même et comme cette conscience présente de moi-même était aussi ce qui me caractérisait
hier, c'est en définitive à la mémoire que je dois la certitude d'être ce que je suis et pas un autre.
Au terme de cette première analyse on peut donc conclure avec Kant : « La pensée que je ne suis pas ne peut
absolument pas exister ; car si je ne suis pas, je ne peux pas non plus être conscient que je ne suis pas ...Parlant
à la première personne ; nier le sujet lui-même (celui-ci en quelque sorte s'anéantit) est une
contradiction » Anthropologie d'un point de vue pragmatique. Vrin, p.47.
Et pourtant, même s'il est vrai que le sentiment d'être soi ne quitte jamais la pensée ne nous arrive-t-il pas de
douter de l'unité et de l'identité de notre être ? Quelles sont ces expériences où la certitude d'être soi cesse
d'aller de soi ?
2) Ce qui rend possible le sentiment de ne pas être soi
16/09/2019 » Peut-on ne pas être soi-même? - PhiloLog
https://www.philolog.fr/peut-on-ne-pas-etre-soi-meme/ 3/17
Ce sont toutes les situations où je repère en moi quelque chose qui me dérange, m'étonne et me confronte à
une vérité insoupçonnée ou refusée de mon être.
1°) La révélation de sa propre opacité.
Ainsi je ne peux pas rapporter à mon moi conscient et volontaire certaines de mes productions psychiques. Tel
désir obscène, tel rêve absurde, tel symptôme névrotique etc. ont bien un sujet mais j'ai peine à croire que ce
sujet soit moi. Je découvre dans la perplexité qu'il y a de l'opacité, de l'étrangeté au cœur de mon être. L'unité
de ma personne perd son évidence et même, si l'on suit la leçon de Freud, il faut admettre que cette unité est
une illusion. Il y a une dualité intérieure au sujet ; le moi n'est que la partie du psychisme humain la plus
superficielle. Je suis un ça, un surmoi et ces instances qui me régissent à mon insu me sont inconnues. La
conscience de soi n'est pas claire connaissance de soi. Le sujet n'est pas aussi transparent à lui-même que le
prétend Descartes. L'inconscient est en moi une autre scène fonctionnant selon d'autres lois que la conscience.
Et lorsqu'il se manifeste, j'ai de la peine à admettre que ce désir de meurtre, ce fantasme pornographique qui
répugnent à ma raison, dirait Descartes, soit aussi une dimension de mon être. Je suis tenté de les dénier et en
tout cas ils m'amènent à nourrir des doutes sur mon unité et mon identité.
2°) Les métamorphoses d'un sujet dans le temps.
Mon identité n'est pas fixée une fois pour toutes. Je suis un sujet en devenir se construisant dans le cadre d'une
histoire et se transformant en fonction de ce qu'il lui est donné de vivre. Or s'opèrent parfois en moi des
transformations si profondes que la continuité de mon moi semble brisée. J'ai l'impression d'être devenu
quelqu'un d'autre, de fondamentalement différent, de méconnaissable à mes propres yeux. « Ce que l'on peut
changer ! » se lamente le bon sens. Ce spectacle m'émouvait autrefois, il me laisse aujourd'hui de glace. Cette
injustice me révoltait, elle m'est moins sensible comme si le temps érodait la sensibilité, l'endurcissait au point
de me donner le sentiment d'être devenu quelqu'un d'autre, quelqu'un qui me plaît moins que ce qu'il était dans
sa jeunesse. « Moi à cette heure et moi tantôt, sommes bien deux » avoue Montaigne dans ses Essais,111,9.
L'inconstance, voilà le maître mot de la condition humaine. Faut-il en conclure avec le sceptique Hume que la
continuité du moi, sa permanence dans le temps sont des fictions de l'imagination ?
3°) La violence passionnelle.
Dans l'emportement passionnel aussi je fais l'expérience d'être la proie de quelque chose qui me déstabilise
dans mon expérience familière. Je peux avoir le sentiment d'être devenu étranger à moi-même. Je ne parviens
plus à penser à autre chose qu'à l'objet de mon amour ou de ma haine. La passion agit en moi comme une
puissance d'envoûtement, de possession. Elle me conduit à des actes que je réprouve et néanmoins que je
commets comme si, comme on dit « c'était plus fort que moi ». C'est pourquoi dans la tradition tragique ou
courtoise la passion est regardée comme une emprise de la divinité ou de la fatalité sur l'homme. Tristan le
chevalier courageux ; respectueux de son oncle le roi Marc ne recule devant aucune bassesse dès lors qu'ayant
bu le philtre d'amour, plus rien ne compte que son amour pour Yseult. Il semble être devenu quelqu'un d'autre
comme ce bon père de famille, honnête homme respecté de tous qui, sous l'effet d'une violente colère, se
transforme en assassin du supposé violeur de sa fille. « Je suis devenu enragé », « je n'étais plus moi-même »
confesse-t-il à son procès, rajoutant aussitôt qu'il se considérait comme entièrement responsable car nul homme
digne de ce nom ne peut se disculper de perdre la maîtrise de se conduite. Drame de la violence passionnelle.
Elle altère les capacités de jugement et de contrôle, elle conduit souvent à l'irréparable et lorsque la passion
s'apaise, le sujet ne peut que contempler le champ de ruines et subir les affres du remords ou de regret.
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4°) La comédie humaine et les jeux de rôle.
Si l'unité et l'identité de la personne sont une fausse évidence c'est aussi que ce que je suis, dépend en grande
partie des situations dans lesquelles je me trouve et des personnes avec lesquelles je suis en relation. Je ne suis
pas le même avec des personnes différentes. Persona en latin c'est le masque que les acteurs antiques portaient
pour figurer sur la scène l'unité d'un caractère. N'en est-il pas de même de ma propre personne ? Est-il jamais
possible d'être totalement sincère dans la multiplicité des rôles qu'impose la comédie humaine ? Si j'essaie
d'être honnête ne dois-je pas m'avouer que je ne peux coïncider avec aucun de mes rôles sociaux et que, pour
certains j'ai l'impression d'être ou de faire quelque chose qui me met mal à l'aise. C'est que tout homme doit
compter avec la pression du groupe, la nécessité des convenances, ou diverses obligations dont la légitimité
peut être admise mais qui peuvent contraindre le sujet, au point de lui donner l'impression de ne pas être fidèle
à une certaine idée qu'il se fait de lui-même.
5°) Les effets dépersonnalisants des institutions totalitaires.
Ce thème est une manière de décliner l'argument précédent mais dans des situations limites ; celles que des
hommes peuvent vivre dans une organisation politique telle que le système nazi ou stalinien ou encore dans des
institutions telles que la prison, un centre scolaire fermé ou un couvent, coupant l'individu du monde extérieur
et du mode normal de vie. On s'étonne des actes atroces ayant pu être commis dans ces circonstances et on se
dit que les bourreaux et leurs complices ne pouvaient pas être des hommes ordinaires. Or nous savons
désormais qu'il y a « une banalité du mal » (Cf. Hannah Arendt. Eichmann à Jérusalem) et que l'argument
majeur des personnes appelées à répondre de leurs conduites fut invariablement : « Je ne voulais pas cela,
j'obéissais à des ordres, je ne suis pas responsable, je n'étais pas moi-même dans ce qu'on me demandait de
faire ». Voir pour ce thème l'expérience de la prison de Stanford conduite par Philippe Zimbardo en 1971
(www.prisonexp.org) ou celle de Milgram sur la propension humaine à obéir aveuglément à l'autorité.
Dans son livre Un si fragile vernis d'humanité, Michel Terestchenko cite un passage d'une lettre que
Zimbardo reçut, deux mois après son expérience, du prisonnier 416, un des rares étudiants s'étant comporté
d'une manière réfléchie et qui avait été placé en cellule d'isolement pour sa résistance : « Je commençais à
sentir que mon identité, la personne que j'étais et qui avait décidé d'aller en prison, était distante de moi, était
éloignée au point de ne plus être elle-même : j'étais le prisonnier 416. J'étais vraiment mon matricule ».
Au terme de cette seconde analyse il apparaît donc tout à fait possible d'avoir le sentiment de ne pas être soimême. Mais un sentiment est une chose, la réalité sur laquelle il porte une autre.
Car soulignons l'ambiguïté. Cet être opaque à lui-même, « ondoyant et divers » dans le temps et selon les
contextes (Montaigne), emporté par l'élan passionnel, extérieur au rôle qu'il joue ou se soumettant massivement
à une autorité, je sais bien que c'est moi. Seule la mauvaise foi peut me conduire à me défausser de cette vérité
de moi-même, qui pour problématique qu'elle soit est bien mienne.
La mauvaise foi, nous apprend Sartre est un mensonge à soi-même et un mensonge aux autres Mauvaise foi
ce que Freud théorise comme refoulement inconscient ; mauvaise foi le refus d'admettre que l'identité n'est pas
figée et que ce que je suis devenu, c'est aussi bien moi que ce que j'étais ; mauvaise foi cette manière
d'incriminer le destin ou un sortilège là où je consens à l'amour ou à la haine qui m'emportent ; mauvaise foi cet
alibi de ne pas être soi-même dans le rôle du bourreau ou dans celui de l'agneau puisque s'il m'était totalement
étranger je serais bien incapable de le jouer.
Nous sommes la totalité de ce que nous sommes et la totalité de nos actes explique Sartre et s'il nous arrive
de prétendre le contraire c'est que nous cherchons à échapper aux multiples responsabilités qui nous incombent
et à l'angoisse engendrée par le sentiment de notre liberté.
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Il n'y a de véritable aliénation que pathologique. Le fou, sans doute, s'est perdu lui-même et subit ce sort
redoutable d'être autre que ce que, par son délire, il croit être. Mais aliénation mentale exceptée, nul ne peut
échapper à la présence à soi qui est celle d'un être conscient.
3) Dépassement : l'impossible adéquation à soi
Ces multiples expériences nous révèlent seulement que l'être doué de conscience est impuissant à être sur le
mode de l'en soi. Etre conscient de soi c'est être pour-soi c'est à dire c'est être à distance de soi, se représenter
et surtout se juger. « Qui ne se condamne pas ne se connaît pas » écrit Alain or qu'est-ce que se condamner si
ce n'est souffrir de ne pas être en-soi ce à quoi on aspire à être pour-soi ? L'écart de soi à soi, l'insatisfaction qui
en découle, sont la marque de l'humanité. En eux se joue notre profil moral selon que, lâches nous serons tentés
de nous abuser sur nous-mêmes ou courageux nous ferons de cette distance l'occasion de nous vouloir et de
nous faire exister conformément à la noblesse que la conscience nous confère. C'est elle qui nous élève à la
dignité d'une personne, c'est donc elle qui doit nous permettre de nous unifier et de nous approprier notre
identité. Celle-ci n'est pas de l'ordre de l'être puisque la conscience est échappement à ce que l'on est sur le
mode du donné. Elle est de l'ordre du devoir être c'est-à-dire de la liberté. Il s'ensuit qu'être soi-même c'est
s'efforcer d'être fidèle à une certaine idée de ce que l'on doit être, c'est une tâche voire une destinée non un
destin. En faisant sien le précepte delphique « connais-toi toi-même » Socrate nous assignait à cette vocation.
Souviens-toi que tu es esprit nous disait-il et « découvre ce que la pensée t'assigne comme essence » (Hegel)
Conclusion
Penser l'unité et l'identité humaine, autrement dit le « moi », dont Pascal affirme qu'il est inassignable, ne
revient à exclure ni la multiplicité, ni la diversité, ni la mobilité des facettes d'un sujet car il est la synthèse de
cette complexité et il le sait. Non seulement être soi, c'est intégrer la multiplicité de ses dimensions, la
diversité de ses visages et la mobilité de ses états dans l'unité d'un moi, mais tout se passe comme si ce moi
était ce « je ne sais quoi » conférant à la complexité concrète d'un sujet son style ou son allure propre. Même
dans ses expressions les plus étonnantes chacun ne ressemble qu'à lui-même. Sans doute toutes les
personnalités n'ont-elles pas le même degré d'unité et d'originalité. Reste que, toutes réelles qu'elles soient,
l'opacité, l'inconstance, la mobilité du moi, l'emprise passionnelle n'autorisent pas, sans mauvaise foi, un sujet
à se prétendre autre que ce qu'il est. On ne peut donc pas affirmer que «Je est un autre ». Bien au
contraire « Je » est, ce qui, tout au long de notre vie, confère à notre être selon la formule de Montaigne sa
« maîtresse forme ».
« Tout mouvement nous découvre écrit Montaigne. Cette même âme de César, qui se fait voir à ordonner et à
dresser la bataille de Pharsale, elle se fait aussi voir à dresser des parties oisives et amoureuses. On juge un
cheval non seulement à le voir manier sur une carrière, mais encore à lui voir aller le pas, voire à le voir en
repos à l'étable ». Essais 1, 50

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